L'A400M bombardier d'eau, vraiment une bonne idée ?

Publié le 4 août 2022

Les images publiées par Airbus de l'essai d'un A400M en configuration bombardier d'eau ont beaucoup plu à la presse. Pourtant, l'avion de transport militaire n'est pas la solution miracle pour la lutte contre les feux de forêt... loin de là.

L'Airbus A400M n'a pas été conçu pour la lutte contre les feux de forêt. Toute aide est bonne à prendre, mais il ne remplacera pas les norias de Canadair.
L'Airbus A400M n'a pas été conçu pour la lutte contre les feux de forêt. Toute aide est bonne à prendre, mais il ne remplacera pas les norias de Canadair.
© Clément Gruin

Airbus a révélé les images d'un test mené sur un Airbus A400M (l'avion de transport militaire de l'avionneur européen), au cours duquel l'appareil largue 20 tonnes d'eau sur une cible, pour étudier la possibilité d'en faire un bombardier d'eau. Ces images tombent au bon moment alors que le Sud de la France est en proie aux flammes et que les feux de forêts font rage dans plusieurs pays méditerranéens.

Il n'en fallait pas plus pour que les journalistes s'enflamment. Rendez-vous compte : 20 tonnes d'eau, c'est plus que les six tonnes des Canadairs ! Oui mais voilà : la capacité d'emport du Canadair (le CL-415 pour les plus geeks, le Pélican pour les intimes) n'est pas son point fort. Le plus important, c'est qu'il s'agit d'un avion amphibie qui est capable de remplir ses six petites tonnes sans avoir besoin de se poser. Cela lui permet des fréquences de largages très importantes sur les feux suivant la disposition des lieux, et c'est cet avantage décisif qui permet de faire la différence dans la lutte anti-incendie.

Il faut dire que le CL-415 a été entièrement conçu pour cette mission. De sa motorisation à l'architecture de sa carlingue, en passant par sa voilure et — détail qui peu sembler négligeable mais ô combien important — ses surfaces de contrôle. Car, oui, ses gouvernes sont surdimensionnées et lui permettent d'être extrêmement manœuvrant. L'A400M n'est pas mauvais dans cette catégorie, mais cela reste un avion cargo de 80 tonnes dont le vol à très basse altitude au-dessus du relief n'est pas la mission première.

Autre aspect essentiel en faveur de l'avion amphibie : son mode opératoire qui l'amène à travailler en noria, c'est à dire avec plusieurs avions qui vont larguer les uns derrières les autres. A tour de rôle et à une trentaine de mètres du sol, le largage de leurs six tonnes d'eau provoque un effet d'étouffement d'une efficacité redoutable.

S’il n’y a pas d’effet de masse, comme avec le Canadair, cela donne un effet « douche » et cela ne sert à rien.

Christophe Govillot, pilote de Canadair et porte-parole du SNPNAC

C'est cet effet de masse combiné aux fortes fréquences de largage des norias qui font du CL-415 le bombardier d'eau le plus efficace. A contrario, les 20 tonnes de l'A400M sont larguées de plus haut et sont prises dans les turbulences de l'avion qui viennent disperser cette masse.

Autre point souligné par les journalistes : l'A400M peut voler de nuit, lui ! Sauf que... le Pélican est aussi capable de voler dans la nuit aéronautique. Les équipages ont renoncé au largage nocturne depuis le début des années 2000. Trop peu de visibilité la nuit, cela ne permet pas de repérer les poteaux électriques (véritable menace au vu de l'altitude de manœuvre des bombardiers d'eau), dans des conditions de vol rendues déjà périlleuses par les fumées. La situation awareness nécessaire au vol rapproché sur le relief est trop mauvaise pour du largage de nuit, et c'est tout aussi vrai pour l'A400M.

Disponibilité des machines et entraînement des équipages

Enfin, un point de réalisme. L'A400M est un avion militaire qui est opéré par l'armée de l'Air, et il est peu probable que la Sécurité Civile fasse l'acquisition de tels appareils. Si ces avions pouvaient demain prendre part à la lutte contre les incendies (toute aide est bonne à prendre, admettons-le), il faudrait les mettre en configuration avec cette fameuse cuve de 20t, mettre en place tous les moyens nécessaires pour armer l'avion et l'avitailler en eau... tous ça sans réduire les capacités opérationnelles des escadrons Touraine et Béarn.

Car oui, l'A400M est un avion militaire qui a des contraintes, et qui est indispensable aux capacités de projection qui sont une priorité avec la nouvelle doctrine de haute-intensité. Le Canadair est disponible 365 jours par an pour la lutte contre les feux de forêt.

En plus de la préparation des machines, il faudra entraîner les équipages. Ils savent faire du suivi de terrain, mais aller attaquer le front d'un incendie dans le fond d'une vallée est une autre paire de manche qui demande un savoir-faire spécifique. Les pilotes de la Sécurité Civile se préparent à ce vol de haute exigence tout au long de l'année, et savent identifier les pièges qui les attendent.

Bref, le CL-415 est le meilleur avion bombardier d'eau quand on prend en compte le problème dans sa globalité. Sans aucune discussion possible. Toute aide supplémentaire est la bienvenue, mais rien ne remplacera le Pélican.