Un mal invisible dans toutes les têtes

Publié le 14 juin 2018

L'ONG Greenpeace a mesuré des concentrations élevées de dioxyde d'azote sur plusieurs terrains de sports situés en ville. Aucune surprise pour les sportifs parisiens, qui composent avec la pollution faute de mieux.

Le centre sportif Docteurs Déjerine est situé porte de Montreuil, à proximité immédiate du périphérique.
Le centre sportif Docteurs Déjerine est situé porte de Montreuil, à proximité immédiate du périphérique.
© Clément Gruin

Un large rectangle vert s’étend le long d’un haut mur. Derrière les trois mètres de béton, le trafic s’étire sur le périphérique parisien, impassible. Seuls les cris des enfants et les ballons qui rebondissent tentent de perturber ce brouhaha incessant. En ce mercredi après-midi de juin, c’est le dernier entraînement pour les moins de 13 ans du Paris FC. Quelques parents se sont regroupés le long de la rambarde et discutent bruyamment. Du coin de l’œil, ils surveillent la balle qui circule de pied en pied sur le terrain synthétique.

« Allez, on se regroupe ! », lance Samir, qui siffle la fin de la séance. Après deux heures d’efforts à quelques mètres du périphérique, les enfants ont été exposés à des niveaux de polluants atmosphériques jusqu’à 10 fois plus élevés qu’au repos. La situation pourrait susciter l’inquiétude des habitués, d’autant qu’une étude de Greenpeace a sonné l’alerte : l’ONG a mesuré les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) sur six terrains de football, à Paris, Lyon et Marseille. A l’exception d’un stade lyonnais, tous dépassent les limites préconisées (plus de 50 µg/m3 à Paris, contre 40 µg/m3 recommandés par l’OMS).

« On a toujours été habitués, explique Steve Vanda Nona, responsable de la section U13 du Paris FC. Ca fait 17 ans que je pratique au centre sportif Docteurs Déjerine (porte de Montreuil), et ça a toujours été comme ça. » Pourtant, en rangeant son matériel d’entraînement, l’éducateur est bien conscient du problème. « Quand on s’éloigne et qu’on va jouer à la campagne, on se rend bien compte que l’air est meilleur, confie-t-il. Mais ici, c’est l’air du quotidien. Les enfants ne se plaignent pas, ils ne ressentent aucune gêne. »

« On a l’impression d’être à l’abri »

A une centaine de mètres de là, le CA Montreuil 93 s’entraîne le long de la piste d’athlétisme du centre Louis-Lumière. En s’étirant le long de la rambarde, les sprinteurs confirment eux aussi leur ajustement. « On s’est adapté », acquiesce l’entraîneur Elia Zeganadin, cheveux coupés à ras et oreilles percées. Les coureurs sont pourtant sensibles au dioxyde d’azote. « On sent bien qu’il y a moins d’oxygène pendant les pics de pollution, explique le coach. On préfère s’entraîner dans une salle à côté. L’air n’y est pas plus pur, mais on a l’impression d’être à l’abri. »

Si la plupart des terrains de sports de la capitale se situent à proximité immédiate du boulevard, tout est aménagé pour donner l’illusion d’être abrité. Un peu plus au sud, le stade Léo-Lagrange est protégé de la circulation par de hauts arbres. « Et le périphérique passe sous un tunnel, ajoute Eric. Je ne suis pas sûr que ça réduise la pollution, mais au moins on a moins de bruit. » Depuis le banc le plus proche, le quadragénaire observe son fils jouer au tennis. Vladimir, reconnaissable à son t-shirt bleu floqué de son surnom, ne ménage pas ses efforts sur le court. « Il n’a pas d’allergie et il n’a jamais eu de problème de respiration, assure son père. Mais c’est le lot de la vie à Paris. Quand je courrais des marathons, je sentais bien en me préparant que l’air n’était pas sain. » Eric a entendu parler du rapport de Greenpeace, mais ne s’en émeut pas. « Ca doit surtout être gênant pour les athlètes de haut niveau. De toute façon, on ne ressent pas plus la pollution ici qu’au centre de Paris. »

Le Boulevard périphérique est l’autoroute urbaine la plus empruntée d’Europe.
Le Boulevard périphérique est l’autoroute urbaine la plus empruntée d’Europe.
© Clément Gruin

En attendant ses partenaires de tennis, Clémence se place aussi sur le terrain des sportifs désabusés. « J’ai grandi dans le XIIe, et on a toujours su que c’était pas top de faire du sport à côté du périphérique. Quand je fais de la course à pied, l’air est irrespirable en passant sur les ponts au-dessus. » Mais la jeune femme de 29 ans ne se prive pas de faire du sport. « Il y a des courts pires que celui-là, où on n’entend même pas la balle rebondir ! »

De maigres espoirs

Sportifs en terrain hostile, tous espèrent que la situation s’améliore. « La qualité de l’air est un petit peu meilleure le week-end, rassure Steve Vanda Nona. C’est grâce aux initiatives de la mairie de Paris, les rues sont plus dégagées en fin de semaine. » L’organisation des Jeux olympiques, qui s’affiche fièrement à l’entrée de tous les terrains de sports de la capitale, fait naître certains espoirs. « On espère que les investissements permettront de renouveler nos équipements, confie l’éducateur du Paris FC. On est très loin de bonnes conditions de travail, et notre terrain a vécu. »

Sans cesser de s’étirer, Elia Zeganadin est moins enthousiaste. « Les JO ?! Ca changera rien, pronostique-t-il avec un sourire narquois. L’amélioration se fera peut-être au niveau des transports, en espérant que ça aide à réduire la pollution. Mais les investissements ne bénéficieront pas à nos infrastructures. »

Derrière les arbres, un camion s’engage sur le périphérique, avec six voitures flambant neuves sur sa remorque. La pollution est une fidèle partenaire des sportifs parisiens, et ça n’est pas près de changer.